Les Dents de la Mer ont 50 ans
Les dents de la mer ont 50 ans !

Le film qui a traumatisé des générations de spectateurs vient de souffler ses 50 bougies. Retour sur une œuvre culte qui a créé le genre des blockbusters estivaux, ces films très grand public (et très gros budget) qui divertissent les vacanciers du monde entier.
Jaws (le titre original qui signifie "mâchoires") est le deuxième long-métrage de Steven Spielberg pour le cinéma, il a 28 ans. D’où vient cette histoire bonne à nous faire détester les bains de mer ? Du roman a succès de Peter Benchley, publiée en 1974 et resté 44 semaines en tête des ventes aux Etats-Unis, l'auteur participera d’ailleurs à l’écriture du scénario. Anecdote : Fidel Castro a beaucoup apprécié ce livre qu'il voyait comme une attaque contre le capitalisme. Seulement un an après la publication, le futur grand réalisateur propose une adaptation qui marquera les esprits durablement.
Roy Scheider (French Connection), Richard Dreyfuss (American Graffitti) et Robert Shaw (Bons baisers de Russie) sont les trois acteurs principaux du film.

Un projet qui a révolutionné l'industrie du cinéma
Le pitch est plutôt simple : dans une station balnéaire du Massachussetts, le corps mutilé d’une jeune femme est retrouvé échoué sur la plage. Le chef de la police locale pense très vite à un requin qui ne saurait s’arrêter maintenant qu’il a goûté à la chaire humaine. Il lutte pour interdire l’accès à la plage mais les enjeux politiques et économiques sont trop importants, une bonne partie de la population s’y oppose. Dans le film, les figurants horrifiés sont joués par les habitants de l’île.
Les attaques se répètent et les victimes s’accumulent. Il faut alors traquer la bête sanguinaire. Un combat loin d’être facile. Dans ce face à face classique entre l’homme et la nature, il y aura des pertes, de la sueur et du sang, des dégâts matériels et des considérations philosophiques.

Le tout évidemment saupoudré de dramatisme, d’une angoisse savamment mise en scène pour monter en puissance graduellement. Et bien sûr, la musique iconique signée John Williams, déjà connu notamment pour Sugarland Express et Un violon sur le toit, qui participe avec une efficacité parfaite à nous faire frissonner même les yeux fermés ! La musique obsessionnelle est terriblement simple, deux notes la composent : mi et fa. L’inventivité de Williams a payé : c’est l’un des thèmes les plus connus du 7e art.
La sortie du film elle-même est exceptionnelle : diffusé dans 409 cinémas partout aux USA (et pas que dans les grandes villes) le 20 Juin 1975, il est accompagné d’une grosse promotion et face au succès, certains complexes (lieux flambants neufs alors) diffusent le film en même temps dans plusieurs de leurs salles.
Universal Pictures propose l’une des premières superproductions du cinéma américain de notre époque, un modèle qui sera repris pour chaque film populaire à gros budget. Le concept de « blockbusters de l’été » est né, pour le meilleur et souvent pour le pire…

La critique est bonne et le public est au rendez-vous. Il faudra attendre 1977 et Star Wars pour que Les dents de la mer soient chassées du podium des plus grands succès du cinéma. Mais la durabilité et l’empreinte de ce succès dans la culture populaire est incontestable. Il y eut une suite à ce film, sans Spielberg ni Benchley, mais le succès n’a pas été au rendez-vous. Jaws initie par la même occasion les grosses franchises en proposant des suites attendues mais pas toujours réussies, Top Gun, Indiana Jones, Spider Man...suivront son exemple avec parfois jusqu'à 10 opus du film. De quoi continuer à faire vivre les héros et d'engranger toujours plus de recettes.

La bibliothèque du Congrès des Etats-Unis a intégré l’œuvre dans ses registres au regard de son « importance culturelle, historique et esthétique ». Bien que vieillissante, elle est le témoin d’un genre cinématographique qui s’est imposé comme un modèle.
Le long-métrage rafle trois oscars et la carrière de Steven Spielberg est lancée, il réalisera ensuite Rencontre du troisième type (1977) et Les aventuriers de l’arche perdue (1981).
Quelques chiffres et anecdotes :
- 470 millions de dollars de recettes dans le monde
- 6 261 327 d’entrées en France
- La population de l’île tripla à la saison estivale après le succès du fil
- C'est le 5e film qui rapporté le plus à Universal
- Le film d'animation Gang de Requins (2004) débute par une parodie des Dents de la mer, Spielberg est à la production.
- Dans Retour vers le futur (1985),aussi produit par Spielberg, on voit un clin d'oeil appuyé quand Marty McFly se tient devant un cinéma qui projette Jaws 19 réalisé par un certain Max Spielberg, l'un des fils du réalisateur s'appelle réellement Max !
- L'expression "Effet dents de la mer" a été popularisée et désigne le développement d'une nouvelle peur à cause d'une oeuvre, ici la squalophobie et l'ablutophobie (peur de se noyer).
- Le film a aussi donné naissance à la "sharksploitation", un courant de films où les requins occupent une place centrale.
Un tournage cahotique
Vous vous en doutez, faire jouer de vrais requins est une entreprise complexe. Trois requins mécaniques ont bien été fabriqués mais leur mauvais fonctionnement et leur fragilité a poussé Spielberg à suggérer l’arrivée du requin par le thème musical et l’apparition d’un aileron. Cependant, des photographes animaliers proposèrent aussi des clichés de requins pris en vues sous-marines pour les intégrer au montage.

Tourné à Martha’s Vineyard (Edgartown plus précisément), haut lieu du tourisme balnéaire aux Etats-Unis, le film est l’un des premiers à être tourné en mer. Cet endroit, réputé à faible marées, permettait de filmer toute la journée. Malgré cela, les conditions de tournage ne furent pas des plus idéales, un gros retard de trois mois est accusé. Initialement budgété à 4 millions, il fallut finalement 12 millions de dollars pour boucler la production. Ceci est notamment dû à une équipe de tournage trop conséquente : plus de 100 personnes sur plateau alors que 50 auraient suffi. De plus, les hôteliers de la région font grimper les prix de leurs chambres et les autorités de Martha’s Vineyard exigent une caution de 100 000 dollars pour préserver l’environnement.

Ajoutons à cela un scénario et des dialogues qui n’ont cessés d’être modifiés jusqu’au dernier moment, la tension sur les plateaux était palpable. La presse fait grand bruit des difficultés de cette super-production qui a tout l’air d’être un échec annoncé. Universal Pictures demande des comptes et envisage d’annuler le tournage.
Heureusement, tout finit par rentrer dans l’ordre. La grève annoncée par la Screen Actors Guild est annulée et les tournages en extérieur prennent fin le 15 Décembre 1974. Les 155 jours de tournage donneront lieu à un film plus que rentable mais cette expérience ne sera pas à un bon souvenir pour Spielberg.

Une expérience difficile et des retombées inattendues
En effet, il déclarera plus tard avoir traversé une dépression en plein tournage et avoir subi un syndrome de stress post-traumatique ensuite. Certains voient même dans cette expérience une similitude avec les trois hommes du films qui tentent de terrasser le requin. Mais cette détermination à boucler le film a eu un coût certain. Longtemps, le réalisateur a voulu oublier cette œuvre qui lui rappelait une période difficile dans sa carrière. Un malaise décuplé quand Spielberg découvre le revers de la médaille non pas pour lui mais pour l’animal : le succès planétaire a développé une crainte populaire pour le requin, une peur qui pousse même certaines personnes à chasser réellement l’animal marin, sans distinction entre les différentes espèces de requins. Cette confusion entre fiction et réalité fut terrible pour les requins, désormais les mal-aimés des rivages et menacés de disparition.
Mais ne dit-on pas que l'on a plus de chance de gagner au loto que de se faire croquer la jambe en mer ?

Les dents de la mer ont été un véritable défi pour Steven Spielberg, tant sur le plan, professionnel que personnel. Il lui a fallu du temps avant de faire la paix avec son propre film mais désormais, le réalisateur lui-même tente de réhabiliter l'oeuvre la plus iconique du cinéma estival.
« J'étais aussi affamé que le requin quand j'ai fait Jaws ! L'expérience a changé ma vie, c'est grâce à ce film que j'ai gagné le privilège du final cut sur tous mes autres films. [...] Tout le récit est une histoire de survie et c'est bien ce que j'ai vécu avec ce tournage, qui est pour moi comme un badge d'honneur. » S. Spielberg

Envie d’en savoir encore plus sur ce Moby Dick des temps modernes ? La plateforme Arte TV propose un documentaire riche d’images d’archives et d’interviews. Et bien sûr, le dvd du film est disponible à l'emprunt afin de frissonner un peu en cet fin d'été. Attention, les plus plus sensibles risquent de ne plus jamais tremper un doigt de pied dans l'eau !