Très beau récit-enquête où le journaliste néerlandais Chris de Stoop revient sur l'assassinat de son oncle éloigné Daniel, un agriculteur marginal dont les économies d'une vie ont attisé la convoitise d'un groupe de jeunes voyous désoeuvrés. Avec une écriture incroyablement sensible, précise et respectueuse, l'auteur décortique l'horrible fait divers qui le concerne directement. Poussé à se constituer partie civile pour défendre un oncle qu'il a à peine connu, Chris de Stoop décide de mener une enquête méticuleuse, teintée d'une réflexion sociologique et psychologique. Il revient d'abord sur la vie singulière de Daniel, un homme isolé qui a connu peu de bonheur dans sa vie et qui a lutté de nombreuses années pour faire vivre ses terres. A la fin de sa vie, le vieil homme repousse toute compagnie humaine, les habitants du village sont rebutés par l'aspect négligé du fermier-ermite. Ensuite, c'est au groupe de jeunes que le journaliste s'intéresse : des jeunes de Roubaix et de la Belgique toute proche, issus de familles dysfonctionnelles, où l'argent est souvent un problème même s'il ne manque pas toujours. Ils font régner la terreur dans les alentours : rodéos sauvages, consommation d'alcool, tapage nocturne...mais une nuit c'est un acte qui dépasse toutes les limites qui va les faire basculer dans la criminalité. 

Daniel conserve ses économies chez lui, il le dit haut et fort. Les jeunes le savent et décident de le cambrioler à sa ferme. L'attaque est d'une violence inouie. Le vieil homme est laissé pour mort pendant un long moment. Les jeunes reviennent avec un nouveau membre, persuadés qu'ils n'ont pas trouvé tous les billets. Une semaine après, la ferme est en flamme. 

Mais que s'est-t-il passé avant, pendant et après ces trois évènements ? Le récit permet de faire l'anatomie de ce crime. En retranscrivant le procès auquel il assiste, Chris de Stoop nous apporte tous les éléments qui ont poussé les jeunes à commettre un acte qui défie toute morale. Sans jugement ni ressentiment, il analyse avec le même recul et la même acuité les vies de Rachid, son cousin Ahmed, Arno, Pascal, Rafael...et celle de Daniel. 

Daniel, dont l'histoire personnelle a souvent été méprisée bénéficie d'une mise en lumière bienvenue. Car cette vie raconte aussi le monde agricole, les migrations du nord de l'Europe, la mentalité rurale...D'ailleurs, son neveu s'attarde sur cette question : pourquoi aucun villageois ne s'est inquiété de ne pas voir "le pouilleux"  pendant une semaine ?

"Ils se sont tus dans toutes les langues" déplore-t-il. 

Un texte sobre mais d'une grande intelligence, on suit avec un vif intérêt une enquête profondément humaine et d'une grande qualité littéraire. Chris de Stoop réhabilite son propre oncle mais aussi toutes ces vieilles personnes, un peu bizarres, un peu sales, qui semblent bloquées dans un autre temps et pour lesquelles on ne manifeste que rarement de l'empathie et de l'intérêt. 

Enfin, que vaut une vie ? Que représente l'argent pour un fermier de 84 ans et pour un ado de 16 ans ? Des témoignages marquants d'un côté comme de l'autre apportent à cette lecture une vision philosophique d'une précieuse maîtrise.