Baldwin et Capote, deux auteurs américains à l'honneur
Cette année marque deux événements importants dans la littérature américaine : le centenaire de la naissance de James Balwin (né le 2 août 1924) et de celle de Truman Capote (né le 30 septembre 1924), lequel est mort il y a quarante ans. Ces deux noms résonnent parmi les plus importants de la littérature nord-américaine de XXe siècle. Ils exercent encore une influence considérable sur les écrits du monde entier. Si vous ne les connaissez pas encore ou trop peu, nous vous proposons un retour sur leur vie respective et leurs œuvres.
James Baldwin
"J'aime l'Amérique plus que n'importe quel autre pays au monde, et exactement pour la même raison, je tiens au droit de la critiquer en permanence."
James Arthur Badlwin est né à Harlem (New-York) en 1924 et est mort le 1er décembre 1987 à Saint-Paul-de-Vence dans les Alpes-Maritimes, en France. C'est un auteur de romans, d'essais, de poésies, de nouvelles et de pièces de théâtre.
Sa mère quitte son père toxicomane juste avant sa naissance puis épousera le pasteur David Baldwin, un homme qui traite l'enfant adoptif avec rudesse. Le jeune James grandit dans la pauvreté et dans l'insécurité du New-York de l'époque : il est harcelé et violé par deux officiers de police. Une expérience qui illustre le racisme qu'il subira toute sa vie et qu'il documentera dans ses œuvres.
James Baldwin fréquente une école publique pour laquelle il écrira l'hymne qui restera en vigueur jusqu'à sa fermeture. Ses années collège sont largement influencées par le poète Countee Cullen, la figure de proue du mouvement de la Renaissance d'Harlem (renouveau de la culture afro-américaine dans l'entre-deux guerres). Le jeune étudiant s'investira aussi dans le journal de l'école (il sera directeur littéraire au lycée). De ces dernières années de secondaire, il garde un mauvais souvenir à cause d'insultes raciales constantes.
En 1943, le jour des 19 ans de James Baldwin, son beau-père meurt d'une tuberculose. Ce jour d'été marque aussi le premier jour des émeutes d'Harlem. Cet épisode sera décrit en introduction de l'essai Chronique d'un pays natal. Dans cet essai, James Baldwin relate sa quête d'identité et le rejet familial et social qu'il a subi.
Son roman le plus connu est son premier, La conversion (Go Tell It on the Mountain), paru en 1953. Une histoire qui parle du rôle de l'Eglise dans la condition des afros-américains, un rôle à la fois oppressant et hypocrite mais aussi inspirant et incluant. Les questionnements moraux, familiaux et religieux servent à développer l'identité de chaque personnage dans un contexte ségrégationniste (années 1930). Ce roman est considéré comme l'un des plus grands du XXe siècle.
Ses essais traitent largement des non-dits sociaux, des tensions autour de la distinction raciale et sexuelle et des luttes de classes. Ses pièces de théâtre abordent plutôt des dilemmes personnels et psychologiques qui traversent les personnes noires et les hommes noirs homosexuels. La dimension intéressante du travail de Baldwin réside dans sa manière de dépeindre les obstacles dressés par la société et les classes dominantes et que les minorités ont intériorisé. Ainsi, la quête difficile d'une acceptation identitaire est notamment mise en scène dans La Chambre de Giovanni (1956). Il accuse la religion d'avoir renforcé l'esclavagisme américain, ainsi même si celle-ci le marque profondément, il délaisse sa foi pour se consacrer à la littérature.
Baldwin fut ami avec Marlon Bardon, avec qui il vécut même. Il lutta aussi aux côté de Malcom X, Sidney Poitiers, Nina Simone, Harry Belafonte et du frère de JFK. Son attachement à la France (où il vécut une grande partie de sa vie) le rapprocha d'Yves Montand, de Joséphine Baker et de Marguerite Yourcenar. C'est dans sa maison provençale qu'il écrivit "Lettre ouverte à ma sœur, Angela Davis", une lettre de soutien à l'activiste qui eut une immense répercussion aux Etats-Unis.
L'engagement et la pensée de James Baldwin sont avant-gardistes car la cause LGBT, lancée quelques années plus tard, s'en est largement inspirée. En France, des auteurs engagés tels qu'Edouard Louis ou Faïza Guène s'appuient sur la richesse intellectuelle de l'œuvre de Baldwin.
En 2023, la ville de Paris inaugure dans le 19e arrondissement la médiathèque James Baldwin.
Quelques œuvres disponibles dans nos rayons :
Ce documentaire coup de poing de Raoul Peck est tiré d'un manuscrit non achevé de James Baldwin (Remember This House). Il y raconte l'assassinat des leaders noirs Malcolm X, Medgar Evers ou Martin Luther King. Raoul Peck fut chargé par le légataire testamentaire de Baldwin de porter à l'écran une prose de trente page qui traite de la lutte sanglante des droits civiques. Le prisme de l'actuelle recrudescence des violences racistes interroge la condition des afros-américains qui ont tant de peine à se défaire de l'historique domination blanche.
À voir absolument.
Truman Capote
Truman Streckfus Persons dit Truman Capote est né le 30 septembre 1924 à La Nouvelle-Orléans et est mort le 25 août 1984 à Los Angeles.
Il est auteur de romans, nouvelles, récits de voyage, reportages, scénarios de films et adaptations théâtrales. Il est l'une des figures incontournables de la non-fiction, avec notamment le roman De sang froid.
Ses parents sont originaires de Monroe en Alabama. Leur relation fugace et tumultueuse donne vie au jeune Truman, qui voit le jour dans une suite d'hôtel. La famille vit en effet d'hôtels en hôtels grâce à l'héritage de Lillie Mae Faulk, sa mère. Archulus Persons, son père, nomme l'enfant Truman Streckus du nom de famille de son employeur. Le jeune garçon assiste régulièrement à des scènes de violence conjugale et est souvent laissé seul la nuit. Un abandon qui le marquera profondément. Après la séparation de ses parents, Truman sera balloté entre nouveaux beaux-pères et grand-mère paternelle. Son père se sert des amants de sa mère pour faire des affaires.
Quand il retourne à Monroeville, il est élevé par les cousins de sa mère. Son enfance sera alors plus tranquille mais le traumatisme de l'abandon de ses parents est vif. Il a pour amie Harper Lee, auteure de Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, il décrira celle-ci dans l'un de ses livres comme un "Merlin l'enchanteur de poche". En 1933, Truman part à New-York avec sa mère et son nouveau beau-père qui l'adoptera. L'abandon continue car ses parents voyagent beaucoup, cette nouvelle vie est de nouveau marqué par les crises.
Le jeune Truman Capote est perçu par son entourage comme un enfant différent car petit, efféminé, maniéré et à la voix trop haut perchée.
C'est au lycée que l'une de ses professeurs reconnaît ses talents d'écriture et le pousse à s'améliorer. Après l'obtention de son diplôme à 17 ans il quitte le système scolaire et travaille comme pigiste au New Yorker de 1941 à 1945. En 1943 sa première nouvelle paraît : Les murs sont froids. D'autres paraîtront ensuite. Il se fait renvoyer du New-Yorker à cause d'une lettre du poète Robert Frost qui l'accuse de lui avoir manqué de respect.
Capote repart dans le Sud en 1945 et continue d'écrire. Dans une chambre d'hôtel à La Nouvelle-Orléans il rédige Les domaines hantés, un texte emprunt de nature et de souvenirs d'enfance. Ce premier roman sera publié en 1948. Il continue de publier des nouvelles dans les magazines Mademoiselle et Harper's Bazaar. Son style audacieux refusé par le New Yorker est repéré par quelques directeurs littéraires de New-York.
En 1946, Truman Capote occupe une résidence d'artistes où il rencontre Newton Arvin, un professeur de lettres qui deviendra son amant pendant deux ans. Ce dernier lui délivrera la formation universitaire et intellectuelle qu'il n'a pas eu. Capote lui rend hommage en disant qu'Arvin a été son "Harvard".
Il n'écrira qu'une quinzaine nouvelles dans sa vie, des textes au caractère fantastique et ironique. Dans ces œuvres, le style gothique met en scène un monde effrayant et parfois grotesque, les personnages sont tous forts et marquants. En toile de fond, est également présente une critique de la morale américaine, jugé hypocrite et avilissante.
C'est un peu avant les années 50 qu'il commence à être connu et que le succès vient à lui. Les domaines hantés a sa part de scandale mais le milieu littéraire l'approuve largement, il entre dans les meilleures ventes du New York Times et y reste pendant 9 semaines. 1948 est aussi l'année où il rencontre l'homme de sa vie Jack Dunphy. Ils vécurent en Europe pendant 10 ans.
Quelques-uns des succès de Truman Capote présents dans nos rayons
Truman Capote est aussi réputé pour ses récits-enquêtes, genre populaire qui n'en finit pas d'inspirer les auteurs. De sang froid est le plus connu. True Crime où Capote revient sur un quadruple meurtre au Kansas. Harper Lee l'aidera à récolter des témoignages.
Envie d'en savoir plus sur cette figure littéraire phare ? Découvrez ce biopic de Bennett Miller (2012) :
La vie mondaine de Capote le fera fréquenter Marylin Monroe, Andy Wahrol, Tenessee Williams, Carson McCullers, la sœur de Jacqueline Kennedy... Une vie de fête, d'excès et de succès qui le feront lentement descendre dans une abîme destructrice. Une surdose médicamenteuse et un cancer du foie lui seront fatales.
Truman Capote et James Baldwin sont contemporains. Sans avoir été très proches, ils se sont tout de même côtoyé. Cette nouvelle série de Ryan Murphy (2024) évoque (entre-autre) cette relation entre les deux hommes de lettres : Feud : les trahisons de Truman Capote (s'ouvre dans un nouvel onglet).