Jour de ressac
Résumé
"Finalement, il vous dit quelque chose, notre homme ? Nous arrivions à hauteur de Gonfreville-l'Orcher, la raffinerie sortait de terre, indéchiffrable et nébuleuse, façon Gotham City, une autre ville derrière la ville, j'ai baissé ma vitre et inhalé longuement, le nez orienté vers les tours de distillation, vers ce Meccano démentiel. L'étrange puanteur s'engouffrait dans la voiture, mélange d'hydrocarbures, de sel et de poudre. Il m'a intimé de refermer, avant de m'interroger de nouveau, pourquoi avais-je finalement demandé à voir le corps ? C'est que vous y avez repensé, c'est que quelque chose a dû vous revenir. Oui, j'y avais repensé. Qu'est-ce qu'il s'imaginait. Je n'avais pratiquement fait que penser à ça depuis ce matin, mais y penser avait fini par prendre la forme d'une ville, d'un premier amour, la forme d'un porte-conteneurs".
Notre avis
Prenant le prétexte d’une enquête policière et la forme du roman noir, ce nouveau livre de Maylis de Kerangal renoue avec la force d’écriture qu’on lui connaît. Si le récit se situe au Havre, au bord de la mer, le ressac est surtout celui de l’intime de la narratrice. Car le passé et les souvenirs remontent à la surface, propulsés par la violence et le mystère du présent. Vivant depuis des années à Paris, d’où elle apprend que son numéro a été retrouvé dans la poche d’un cadavre non identifié, la narratrice doit retourner dans sa ville natale, quittée depuis si longtemps. Elle se retrouve alors face à son passé qui de plus en plus vient se mêler au présent, de sorte que le lecteur oscille entre ces réalités qui s’entremêlent. Quand il s’agit de décrire des instants vécus, Maylis de Kerangal n’a pas son pareil. Elle brille par son sens de la narration du moindre petit moment au point d’en faire un récit épique ou émouvant. Elle sait faire ressentir le feu et la puissance vécus par les personnages de choses qui, vues de l’extérieur semblent presque banales. Avec une construction plus aboutie que dans ses derniers romans car plus recentrée sur l’écriture que sur la complexité de l’histoire, sur le mystère et l’abstrait que sur le réel, l’autrice nous conquiert de nouveau sans réserve.