La maison vide
Résumé
En 1976, mon père a rouvert la maison qu'il avait reçue de sa mère, restée fermée pendant vingt ans. A l'intérieur : un piano, une commode au marbre ébréché, une Légion d'honneur, des photographies sur lesquelles un visage a été découpé aux ciseaux. Une maison peuplée de récits, où se croisent deux guerres mondiales, la vie rurale de la première moitié du vingtième siècle, mais aussi Marguerite, ma grand-mère, sa mère Marie-Ernestine, la mère de celle-ci, et tous les hommes qui ont gravité autour d'elles. Toutes et tous ont marqué la maison et ont été progressivement effacés. J'ai tenté de les ramener à la lumière pour comprendre ce qui a pu être leur histoire, et son ombre portée sur la nôtre.
Notre avis
744 pages et pas une phrase superflue. Cette somme est un chef-d’œuvre. Autour du personnage de Marie-Ernestine, arrière-grand-mère de l’auteur, Laurent Mauvignier invente un roman époustouflant. Découvrant la maison de famille rouverte après des années d’abandon, l’écrivain remodèle l’histoire de ses ancêtres, comblant les manques, dans une subtile reconstruction d’un romanesque absolu.
Mauvignier, après la découverte d’objets emblématiques dans cette maison vide, mène un véritable travail d’enquête qui va nous plonger dans l’histoire de France à travers celle de sa famille, du début du XXème siècle à 1976, même mais si l’on pourra élargir cette période à des dates précises : 1854, année de la construction de la maison et 2022, celle du retour de l’auteur dans la maison.
Avec ce roman, Laurent Mauvignier semble touché par la grâce. Cette saga familiale est emportée dans un élan littéraire qui transfigure son style. Les personnages féminins sont auscultés dans leur moindre recoin psychologique afin d’essayer d’en comprendre les motivations, les parcours, les sentiments, les ressentiments. Autour d’elles, une galerie d’hommes oppressants, aux personnalités plus complexes qu’en apparence.
Avec La maison vide, Mauvignier se fait orfèvre dans les moindres détails. Il s’empare du récit de la Première guerre mondiale vue de l’intérieur, de manière crue et réaliste, allant creuser dans les subtilités et les contradictions, tout comme il fait ressentir l’occupation de la Seconde dont il décrit avec objectivité les arrangements et les traitrises.
La maison vide, c’est aussi une étude de mœurs, un roman qui montre les changements dans la société au fil des années mais aussi la répétition de certains réflexes patriarcaux. L’auteur porte un regard sur la question du bien, du mal, sur les divergences de points de vue. Il regarde l’opposition entre ville et campagne, le monde paysan, les ouvriers, les commerçants, les notables, les religieux, tout un monde qui nous rappelle la tradition balzacienne, qui évoque Zola.
Et l’on pense aussi à Proust, coïncidence amusante, les ancêtres de l’auteur portant ce patronyme jusqu’au mariage de Marguerite quand Mauvignier fait le constat suivant : « Cette fois, c’est pour ainsi dire fini, il n’y a plus un Proust dans ma famille – ah, si, j’oublie un curé quelque part en Auvergne, un arrière-grand-oncle vendeur de tissu dans un grand magasin ou disparu quelque part en banlieue de Paris et dont on n’aura plus jamais de nouvelles, mais chacun aura compris que ni l’un ni l’autre ne donneront de suite à la lignée des Proust dans ma famille, mais peu importe s’il ne s’agit que du nom, d’autres lui assureront la postérité qu’on sait ». En lisant La maison vide, on se plait pourtant à joindre les deux familles par le trait de la plume.
Un roman qui fera date.