Le centenaire de Claude Sautet
Né à Montrouge le 23 février 1924, Claude Sautet aurait eu 100 ans cette année. L’occasion de redécouvrir une œuvre riche et variée d’un cinéaste trop souvent réduit à une image consensuelle.
Tôt initié au cinéma, il n’y viendra qu’après un passage par les Arts décoratifs qui l’orientent d’abord vers la sculpture, puis vers la peinture, et c’’est en réalisant des décors de films qu’il côtoie le monde du 7ème art. Après la Seconde guerre mondiale, il intègre l’IDHEC, avant de se lancer pleinement dans une carrière cinématographique en tournant un premier court métrage (Nous n'irons plus au bois, 1951) et surtout en tant qu’assistant réalisateur.
C’est justement en tant qu’assistant qu’il est engagé sur ce qui sera premier long métrage, Bonjour sourire, sort en 1956. Mais Sautet ne l’a jamais reconnu car il y avait remplacé malgré lui le réalisateur René Dhéry qui avait quitté le tournage de cette comédie réunissant quelques stars de l’époque.
Classe tous risques (1960)
Pour Claude Sautet, sa filmographie en tant que réalisateur débute en 1960 avec Classe tous risques, excellent film noir pour lequel il engage Lino Ventura et le jeune Jean-Paul Belmondo qu’il rencontre sur le tournage d’A bout de souffle de Jean-Luc Godard. Pour ce cinéaste français passionné de films américains (et imprégné de culture américaine), c’est une réussite esthétique à la croisée des styles. Malheureusement, Classe tous risques ne rencontre pas de succès.
L'arme à gauche (1965)
Après cet échec, Claude Sautet continue son travail de scénariste pour lequel il a un talent certain et réussit cinq ans après Classe tous risques à tourner un nouveau long métrage, toujours avec Lino Ventura et adapté comme le précédent d’un roman policier. Ce sera L’arme à gauche, film d’aventures avec lequel Sautet rend hommage au cinéma américain qu’il affectionne, celui d’Howard Hawks ou de Raoul Walsh et pour lequel il engage Leo Gordon dans le rôle de la brute Morrison. Cet efficace huis clos en mer des Caraïbes mérite mieux que l’échec qu’il a connu.
Le film n’ayant que peu de succès lui aussi, Claude Sautet pense un temps arrêter le cinéma puis reprend ses activités d’assistant et de scénariste, travaillant entre autres avec Jean-Paul Rappeneau, Alain Cavalier, Philippe de Broca et Jacques Deray. Il faudra attendre encore cinq années pour sorte un nouveau film réalisé par Claude Sautet, celui de la consécration.
Les choses de la vie (1970)
A plus de quarante ans, Sautet est en pleine remise en cause. Suite à sa rencontre avec Jean-Loup Dabadie, il se lance dans l’adaptation d’un roman dans lequel un homme de son âge se questionne sur sa vie. Un parfait sujet pour un nouveau départ. C’est avec cette nouvelle manière que va s’affirmer le thème de prédilection du réalisateur, la peinture des passions humaines. C’est ainsi que Les choses de la vie, succès public et critique, prix Delluc 1970, relance la carrière de Claude Sautet.
Ce film, construit en flash-backs et célèbre pour son impressionnante séquence d’ouverture et la musique de Philippe Sarde, met en scène le double cinématographique de Sautet incarné par Michel Piccoli dans le rôle d’un homme pris entre deux femmes. Il marque également les début de la collaboration du réalisateur avec une actrice qui aura beaucoup d’importance, Romy Schneider.
Max et les ferrailleurs (1971)
Ragaillardi, Claude Sautet va désormais enchaîner les films et, moins d’un an après Les choses de la vie, le public peut découvrir Max et les ferrailleurs, nouvelle adaptation littéraire tirée cette fois-ci d’un roman de Claude Néron. Changement de ton et retour au genre policier, mais toujours avec le magnifique duo formé par Romy Schneider et Michel Piccoli. Ce film sombre qui mêle les univers antagonistes du commissariat et des malfrats, est l’un des sommets de la filmographie du réalisateur. La froideur et le sadisme du personnage joué par Piccoli qui se sert d’une prostituée pour faire tomber un ancien ami sont si bien interprétés que l’on en est glacé. Quant au personnage de Lily, femme libre et épanouie qui se prostitue pour garder son indépendance, il est magnifié par Romy Schneider, bien loin de son rôle de Sissi.
César et Rosalie (1972)
Si Les choses de la vie montrait un homme pris entre deux femmes, c’est une femme qui aime deux hommes qu’incarne Romy Schneider dans César et Rosalie. Elle est entourée par Yves Montand (qui jouera dans trois films de Sautet) et Samy Frey. Rosalie vie heureuse avec César, chef d’entreprise beau parleur et possessif, quand ressurgit David, amour de jeunesse artiste et discret. Le film scrute l’évolution de ce ménage à trois tourmenté.
Vincent, François, Paul et les autres (1974)
En 1974, Sautet adapte de nouveau Claude Néron avec Vincent, François, Paul et les autres. Le film s'attache à ausculter les doutes de quatre amis incarnés par Yves Montand, Michel Piccoli, Serge Reggiani et Gérard Depardieu. Reflet de son époque, la France des Trente Glorieuses, ce nouvel opus dépeint avec justesse l’amitié comme valeur refuge. Et, une nouvelle fois, la musique de Philippe Sarde contribue à l’émotion.
Mado (1976)
Avec Mado, Claude Sautet emploie pour la dernière fois Michel Piccoli qui incarne Simon Léotard, promoteur immobilier qui se retrouve ruiné par son concurrent véreux Lépidon. Il va cependant se venger grâce à une prostituée dont il tombe amoureux, Mado (Ottavia Piccolo). Ce film que le cinéaste qualifiait de fresque noire fait écho à Max et les Ferrailleurs ainsi qu’aux polars de ses débuts.
Une histoire simple (1978)
En 1978, Claude Sautet offre à Romy Schneider l’un de ses plus beaux rôles, celui de Marie, divorcée et mère d'un adolescent, qui se retrouve enceinte de Serge, son nouveau compagnon. Avec Une histoire simple, Sautet livre un beau récit au féminin, celui d'une femme libre qui choisit son destin. Car Marie décide de quitter l’homme qu’elle n’aime plus et d'avorter. Ce film au féminin met en avant le thème de l’avortement peu de temps après l’adoption de la loi Veil et offre le rôle principal à une actrice militante. Un film moderne.
Un mauvais fils (1980)
Film bouleversant, Un mauvais fils permet à Claude Sautet d’aborder à l’aube d’une nouvelle décennie un autre sujet délicat, la drogue. Bruno revient en France après cinq années de détention aux Etats-Unis pour usage et trafic de stupéfiants. Libre et sans travail, il retrouve son père désormais veuf. Ce film extrêmement délicat montre une nouvelle fois le talent de Claude Sautet pour le choix des acteurs. Il illustre parfaitement le propos du réalisateur pour qui « il est important de trouver des acteurs qui ont assez confiance en eux et en moi pour pouvoir montrer ce qu'ils ont de plus vulnérable ». Et en effet, Patrick Dewaere, Yves Robert, Brigitte Fossey et Jacques Dufilho sont formidables.
Garçon ! (1983)
Après un tel film, la légèreté de Garçon ! et le cabotinage d’Yves Montand peuvent surprendre. Mais l’on y retrouve certains thèmes chers au réalisateur comme, bien sûr, les sentiments amoureux, mais aussi celui des bistrots et des repas entre copains. Bon vivant, le réalisateur est connu pour les nombreuses scènes se déroulant dans le bars et brasseries qui peuplent ses films. Ceux-ci sont montrés comme des lieux le plus souvent joyeux où l’on trinque volontiers. Avec Garçon !, Sautet rend en quelque sorte hommage à son propre cinéma. Le film est cependant un échec et Sautet fera une nouvelle pause artistique avant d’entamer la dernière partie de son œuvre qui va une nouvelle fois se réinventer.
Quelques jours avec moi (1988)
Les trois derniers films de Claude Sautet forment une étrange trilogie plus introvertie, montrant des personnages énigmatiques et froids. Après une longue collaboration avec Jean-Loup Dabadie, le cinéaste s’entoure de deux nouveaux scénaristes, Jacques Fieschi et Jérôme Tonnerre, et engage deux acteurs qui n’ont jamais travaillé avec lui, Sandrine Bonnaire et Daniel Auteuil. Quelques jours avec moi est un film qui invite une nouvelle fois le tourment sentimental mais sous une forme nouvelle, à travers le portrait d’un héritier dépressif qui retrouve goût à la vie par l’intermédiaire d’une jeune domestique. Un film qui moque la bourgeoisie tant parisienne que provinciale et qui trace le portrait de la jeunesse des années 80.
Un cœur en hiver (1992)
Dans le film suivant, on retrouve Daniel Auteuil dans un rôle plus intime. Celui de Stéphane, luthier taciturne et jaloux de son collègue et ami Maxime (André Dussollier). Dans Un cœur en hiver, le triangle amoureux est représenté par les trois instruments du Trio pour piano en La mineur de Maurice Ravel. Car la musique est un personnage à part entière, évoquant la complexité des sentiments qui circulent entre Camille, la jeune violoniste incarnée par Emmanuelle Béart, et Maxime et Stéphane.
L’évocation de ce film permet de parler de l’attachement de Claude Sautet à la musique. En effet, depuis sa jeunesse, le cinéaste en est un grand amateur, en particulier de jazz et de classique. Au moment de ses débuts dans le métier du cinéma, il sera critique musical au journal Combat. Cette passion ne l’a jamais quitté, et son goût pour la musique traversera toute sa filmographie. On pourra par exemple voir ses variations autour d’un motif comme autant de versions d’un standard de jazz. Pour la musique de sa première réalisation, il fait appel à Georges Delerue et il travaillera étroitement avec Philippe Sarde jusqu’à son dernier film. Parmi les instants musicaux qui ponctuent son œuvre, on se souvient d’un lecteur de bande magnétique diffusant du free jazz dans l’atelier de David et d’Yves Montand « scatant » du Bach dans César et Rosalie, de la transformation du Concerto pour flûte en Sol mineur de Vivaldi dans la séquence de l’accident et du thème immortel des Choses de la vie, du générique de Vincent, François, Paul et les autres, de la séance d’écoute de l’interprétation de La bohème par Mirella Freni dans Un mauvais fils.
Nelly et monsieur Arnaud (1995)
Le dernier film de Claude Sautet, sorti en 1995 est, selon le critique et réalisateur Thierry Jousse, « une épure bouleversante, un film éminemment personnel. Dans le personnage joué par Michel Serrault, qui camoufle son désespoir derrière le masque d'un nihilisme distingué, difficile de ne pas reconnaître le cinéaste lui-même ». Il s’agit de Nelly et monsieur Arnaud. On y retrouve Emmanuelle Béart dans le rôle de Nelly, jeune femme enchaînant les petits boulots qui fait la connaissance de Pierre Arnaud, riche retraité désirant écrire ses mémoires. Pour incarner M. Arnaud, Sautet trouve en Michel Serrault une sorte de sosie qui lui permet une nouvelle fois de mettre une part de lui-même dans son œuvre. Pour ce dernier film, Claude Sautet reçoit le césar du meilleur réalisateur et Michel Serrault celui du meilleur acteur.
Pour en savoir plus sur le cinéma de Claude Sautet
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Scottie Ferguson