Soyez sympas, rembobinez #6
Il y a 10 ans Mommy chamboulait le cinéma francophone.
Pour fêter ça, le réalisateur Xavier Dolan était l'invité du Festival Lumière de Lyon, un festival de cinéma renommé organisé par l'Institut Lumière et la Métropole de Lyon. La présence exceptionnelle du réalisateur a donné lieu à des rencontres, masterclass et projections de ses films (Laurence Anyways, Juste la fin du Monde). La popularité du jeune québecqois est toujours intacte, les séances ont vite été complètes et l'enthousiasme du public a donné lieu à de touchantes scènes de communion parmi le public.
Mommy est le 5e film de Dolan et le premier à entrer en sélection officielle à Cannes. Il sera également le long-métrage qui fera connaître un peu plus celui que l'on considérait comme le jeune prodige du cinéma francophone. On apprivoisait encore le style Dolan : des histoires dramatiques sur fond de crises et de tensions familiales et amoureuses, une esthétique très travaillée, un ton clinquant dans les dialogues et la musique et des personnages puissants et réalistes.
Mommy a donc remporté le prix du jury, à 25 ans c'est une consécration dans la carrière déjà prolifique du réalisateur.
Ce long-métrage donne à voir une famille monoparentale en crise. Diane, une jeune veuve fantasque, récupère la garde de son fils ayant de graves troubles du comportement. Violent, impulsif et imprévisible, il est ingérable. Le centre fermé dans lequel il a séjourné un moment l'expulse suite à un énième débordement. Que faire alors du jeune Steve, 15 ans seulement ? Une nouvelle loi québecoise permet aux parents de confier leur enfant à une institution psychiatrique quand il n'y plus rien à faire.
Mais Diane veut essayer. Elle accueille son fils et fait le maximum pour le remettre dans le droit chemin. Evidemment la tâche est immense. Sans emploi stable, elle manque d'argent pour subvenir à ses besoins. Seule et mal préparée elle gère mal les crises de son fils. Les dérapages, d'un côté comme de l'autre sont nombreux et toujours plus déchirants. La souffrance qui découle de cette situation fragilise un peu plus cette famille au bord du gouffre.
Et pourtant...il y a des moments de joie entre la mère et son fils. Des gestes tendres, des rires, des promesses, des moments partagés...Comment rejeter un enfant même s'il nous fait du mal ?
L'apaisement viendra peut-être de Kyla, une voisine souffrant de troubles du langage et d'une timidité maladive. Celle-ci, ancienne professeur de formation, tente de donner des cours à Steve. Elle ne réussira pas beaucoup plus à canaliser l'adolescent borderline mais un lien particulier va s'installer entre Diane, Steve et elle. Kyla, en recherche de contact et de considération, trouvera chez ces voisins si différents une amitié improbable et pourtant indispensable à tout le monde.
Vous vous en doutez, ce nouvel équilibre ne tiendra pas. Mommy montre toute les difficultés induites par les troubles psys et la solitude. Avec une force incroyable, cette histoire propose des scènes d'une beauté dramatique. De très beaux moments émergent du chaos telle que la fameuse scène où le trio chante sur du Céline Dion, une scène qui fait se lever et applaudir les spectateurs lors de la projection lyonnaise en Octobre 2024 :
"J'aime Céline Dion, tous mes personnages aiment Céline Dion. J'ai grandi avec l'album sur lequel cette chanson figure. J'aime la mélodie, les arrangements, je trouve que c'est une chanson puissante, tendre."
Comme toujours avec Dolan, d'importantes scènes ont lieu à l'extérieur. La liberté, l'évasion ont lieu dans la rue, sur un parking...la caméra dans des mouvements dynamiques et sensibles montre alors la ville et la nature comme des éléments à part entière. La prise de son capte particulièrement bien le bruissement des feuilles d'arbres, rare élément naturel dans ces banlieues résidentielles qui enferment ses habitants. Le tournage s'est fait dans la périphérie de Montréal, Xavier Dolan a déclaré :
"Je m’étais juré de tout faire pour que mes personnages ressemblent aux voisins de mon quartier d’enfance, et non pas à leur caricature."
Techniquement, ce film se distingue par le format carré de l'image. Un cadre qui ne s'élargira qu'à la toute fin de l'histoire...
Pour ce cinquième film, Xavier Dolan fait appel à ses actrices fétiches : Anne Dorval et Suzanne Clément.
« S’il est un sujet que je connaisse sous toutes ses coutures, qui m’inspire inconditionnellement, et que j’aime par-dessus tout, c’est bien ma mère. Quand je dis ma mère, je pense que je veux dire LA mère en général, sa figure, son rôle. Car c’est à elle que je reviens toujours. C’est elle que je veux voir gagner la bataille, elle à qui je veux écrire des problèmes pour qu’elle ait toute la gloire de les régler, elle à travers qui je me pose des questions, elle qui criera quand nous nous taisons, qui aura raison quand nous avons tort, c’est elle, quoi qu’on fasse, qui aura le dernier mot, dans ma vie. À l’époque de J'ai tué ma mère, j’avais voulu, je pense, punir ma mère. Seulement cinq ans ont passé depuis, mais je crois bien qu’aujourd’hui, à travers Mommy, j’essaie maintenant de la venger. Allez comprendre… »
En 2023, le réalisateur créé un mini-séisme en annonçant de ne plus avoir envie de faire des films. Soulagement quelques mois plus tard lorsqu'il annonce finalement travailler sur un nouveau projet. Un long-métrage mi-horrifique mi-comique qui parlera d'un fait divers français datant de 1895 et se déroulant dans le milieu de la haute société littéraire. Ce film aux multiples facettes devrait être tourné à Paris et dans le Nord de la France. Le thème n'est pas sans rappeler l'adaptation d'Illusions Perdues, dans lequel Dolan avait un rôle.
Mais Dolan a prévenu, il n'aura pas le même rythme qu'avant (1 film par an !). Il estime en effet que le cinéma est secondaire quand le monde dans lequel on vit nécessite une profonde remise en question intellectuelle, sociale et politique. Il a ainsi déclaré vouloir prendre le temps de comprendre les nouveaux enjeux en lisant, en réfléchissant, en s'éloignant d'une activité qui l'a un temps aspiré tout entier. Enfin, en tant que cinéaste engagé il évoque aussi régulièrement les travers du système de financement de la création.
En France, Dolan jouit d'une grande popularité, notamment chez la jeune génération qui a grandit avec lui. Mommy y a fait près d'un 1 million d'entrées et le couverture médiatique a atteint un sommet rarement constaté. Le réalisateur, 35 ans aujourd'hui, a d'ailleurs évoqué son sentiment d'appartenance plus fort envers la culture francophone. "Culturellement, c'est très difficile pour moi de faire un film qui soit apprécié des Nord-Américains" a-t-il déclaré lors de la sortie de Juste la fin du monde.